Rue Bury à Liège : vestige d’un mode de logement social révolu

Logement social et contrôle moral : l’histoire d’un immeuble emblématique à Liège

Située dans le quartier historique de Sainte-Marguerite à Liège, la rue Jean Bury se distingue non seulement par son nom, hommage à l’écrivain wallon né à Liège en 1867, mais aussi par un ensemble architectural emblématique du début du XXe siècle. L’écrivain, qui a marqué la littérature wallonne, laisse ainsi son empreinte sur une voie modeste, terminée en impasse, où se dresse un immeuble de logement social témoin d’une époque révolue.

Cet immeuble, érigé en 1912 pour le compte de la Société anonyme « Le logement ouvrier », incarne une réponse architecturale et sociale à une réalité marquée par l’industrialisation. Dans une ville comme Liège, en pleine expansion industrielle, le besoin de logements pour la classe ouvrière était pressant. Cependant, au-delà de sa fonction purement utilitaire, ce bâtiment révèle une autre facette du logement social de l’époque : celle d’un encadrement moral et social strict, dicté par des valeurs paternalistes.

Une architecture au service du contrôle social

L’immeuble situé aux numéros 1 à 5 de la rue Jean Bury se distingue par son style éclectique teinté d’Art Nouveau, un choix architectural qui, bien que modeste, reflète l’importance de la dimension esthétique dans la conception des logements sociaux de l’époque. La façade en briques, rythmée par des bandeaux de briques blanches et de calcaire, repose sur un soubassement de moellons de grès, conférant au bâtiment une robustesse affirmée.

Le bâtiment s’élève sur trois niveaux, chacun structuré en trois travées. La travée centrale, légèrement plus haute, marque la présence de la cage d’escalier, soulignée par le décalage des baies. L’ensemble, bien que fonctionnel, présente des détails architecturaux soignés, notamment les loggias des travées latérales, dotées de garde-corps en fer forgé, qui témoignent de cette volonté de mêler utilité et esthétique.

Mais au-delà de son apparence, l’immeuble reflète aussi des valeurs morales explicites. Les inscriptions en céramique, ornant les trois portes d’entrée, ne laissent aucun doute sur l’intention des concepteurs : « DEVOIR », « DIEU ET PATRIE », « TRAVAIL ». Ces mots, inscrits en lettres polychromes, résument une philosophie paternaliste où l’ouvrier, logé par une société bienveillante, se doit de respecter un certain ordre moral.

Le modèle paternaliste du logement social

Le bâtiment de la rue Bury est un exemple caractéristique d’un modèle de logement social fondé sur le paternalisme industriel, un modèle qui, à l’époque, allait bien au-delà du simple besoin de fournir un toit à des familles ouvrières. L’idée n’était pas seulement d’abriter, mais d’encadrer, de moraliser. Les inscriptions sur la façade en témoignent : « DEVOIR », pour rappeler à l’ouvrier ses obligations envers son employeur et la société ; « DIEU ET PATRIE », pour renforcer l’attachement aux valeurs religieuses et nationales ; et « TRAVAIL », pierre angulaire de la vie ouvrière.

Ce modèle, omniprésent dans l’Europe industrielle du début du XXe siècle, visait à façonner non seulement l’habitat, mais aussi l’esprit des habitants. Le logement social paternaliste imposait un cadre strict, parfois perçu comme oppressif, où les locataires étaient tenus de répondre à des normes morales. Ce cadre, bien que bienveillant dans son intention, reflète une vision archaïque de la société, où les ouvriers étaient considérés comme une classe à surveiller et à encadrer.

Un modèle révolu face aux défis modernes

Si ce type de logement répondait aux urgences du début du XXe siècle, il ne correspond plus aux réalités contemporaines. Aujourd’hui, le logement social repose sur des valeurs de diversité, d’inclusivité et de respect de l’autonomie individuelle, loin du contrôle moral exercé autrefois. Les concepts de paternalisme et de valeurs imposées sont remplacés par des préoccupations plus actuelles telles que la durabilité, la mixité sociale, et le respect de la dignité de chacun.

À cet égard, l’immeuble de la rue Bury incarne une époque révolue, un moment où le logement social n’était pas simplement une question de logement, mais aussi de contrôle et de formation morale. Ce modèle, bien que désormais abandonné, offre une fenêtre précieuse sur une période où l’architecture et les politiques sociales étaient intimement liées.

Héritage et préservation

Aujourd’hui, ce bâtiment fait partie du patrimoine architectural de Liège, témoignage tangible d’un passé industriel et social. Il se distingue dans la rue par sa hauteur et sa façade soignée, en contraste avec les petites maisons individuelles de style cottage qui l’entourent, également destinées au logement social. Ces bâtiments, tout comme celui de la rue Bury, sont des vestiges d’une époque où la ville cherchait à répondre à l’urgence sociale tout en façonnant la morale de ses habitants.

Alors que les politiques de logement social continuent d’évoluer, ces bâtiments rappellent que l’architecture a longtemps été un outil de régulation sociale. Il est crucial de les préserver, non seulement pour leur valeur architecturale, mais aussi comme symboles d’une époque où le logement, la morale et l’industrie étaient étroitement liés.

Conclusion

Le modèle paternaliste de logement social de la rue Bury appartient à une époque révolue, marquée par une vision de l’ouvrier à la fois logé et encadré. Si ces bâtiments témoignent de l’évolution des politiques sociales au début du XXe siècle, ils ne correspondent plus aux valeurs modernes du logement social, axées sur l’inclusion, l’autonomie et le respect des individus. En ce sens, ils sont à la fois des monuments architecturaux et des artefacts sociaux d’un passé industriel.

Un logement social d’autrefois, rue Bury à Liège