Le sgraffite du Boulevard d’Avroy : Un témoignage de l’art décoratif de Liège
Au 274 du boulevard d’Avroy, à Liège, un sgraffite se dévoile fièrement au-dessus de la grande fenêtre du deuxième étage, entre un linteau métallique et un arc en briques. Cet élément décoratif, qui attire l’œil du passant averti, est bien plus qu’une simple ornementation. Il fait partie de l’œuvre architecturale de l’architecte Arthur Snyers, l’un des plus grands noms de l’architecture liégeoise du début du XXe siècle, et témoigne d’une époque où l’art décoratif était indissociable de la conception des bâtiments.
Un sgraffite intrigant
Ce sgraffite se distingue par ses motifs chargés de symbolisme. Au centre du tympan, une tête de diable au sourire cynique semble défier les observateurs. Cette représentation de « l’âme du mal » est encadrée par un enchevêtrement végétal complexe. Des plantes, telles que des pensées, des violettes et des œillets, ornent les côtés du motif central. Si l’identification exacte des essences végétales reste incertaine, leur présence n’est sans doute pas fortuite. Le choix de ces fleurs pourrait bien renvoyer à une symbolique particulière, liée à la représentation du « malin », offrant ainsi une lecture plus profonde de l’intention de l’architecte.
Le sgraffite, dans sa forme et sa composition, incarne un équilibre subtil entre l’ornementation pure et une certaine forme d’expression artistique. Snyers, à travers ce détail décoratif, invite le spectateur à s’interroger sur la dualité de la beauté et de la menace, un thème récurrent dans l’art de son époque.
Arthur Snyers : architecte éclectique et précurseur de l’Art nouveau
Né en 1865 à Namur et décédé en 1942 à Liège, Arthur Snyers est une figure incontournable de l’architecture liégeoise. Dès ses premières réalisations, il se fait remarquer par son adoption de styles éclectiques, qui mêlent des influences variées, allant de la néo-renaissance au style Art nouveau. Passionné par l’esthétique, Snyers intègre les éléments décoratifs dans la structure même de ses bâtiments, en faisant des détails une véritable signature de son travail.
Il collabore notamment avec l’architecte Charles Étienne Soubre pour plusieurs projets emblématiques à Liège. En 1905, il prend part à la conception de la ville pour l’Exposition universelle, où il se distingue par son travail sur l’esthétique des bâtiments. En 1930, il préside le Collège des Architectes lors de l’Exposition Internationale de Liège, confirmant ainsi son rôle majeur dans la scène architecturale locale.
Les réalisations de Snyers à Liège
Arthur Snyers a laissé une empreinte indélébile sur l’architecture de Liège, avec des bâtiments variés qui témoignent de son habileté à marier les styles et les influences de son époque. Parmi ses réalisations les plus notables, on retrouve :
- 1894 : La rénovation du vélodrome du parc de la Boverie, un lieu désormais iconique de Liège, où Snyers apporte son sens du détail et de la fonctionnalité.
- 1904 : L’extension de la façade du Grand Bazar, dans un style néo-renaissance vénitienne, véritable témoignage de l’éclectisme de l’époque.
- 1906 : La Maison Hanot, rue du Vieux Mayeur n° 50, un exemple parfait de l’Art nouveau, où l’architecture et la décoration se fondent dans une harmonie subtile.
- 1907 : La maison située rue de Serbie n° 17/19, un bâtiment où l’éclectisme rencontre l’Art nouveau, illustrant sa capacité à jouer avec les formes et les matériaux.
- 1909 : L’ancien magasin Wiser (ex-Humblet), situé à l’angle de la rue de la Cathédrale et de la rue de l’Étuve, où l’Art nouveau se déploie dans des lignes fluides et audacieuses.
Les années 1930 marquent également des moments forts dans sa carrière, notamment avec la construction du Palais du Royaume d’Égypte pour l’Exposition internationale de Liège, un projet de grande envergure où Snyers démontre son génie pour l’architecture d’exposition.
Un héritage architectural précieux
L’architecture d’Arthur Snyers se distingue par sa capacité à marier la beauté et la fonctionnalité. Il réussit à insuffler un sens profond à chaque détail, qu’il s’agisse des façades, des fenêtres, ou des éléments décoratifs comme le sgraffite du boulevard d’Avroy. Loin de se limiter à une simple ornementation, ce dernier devient le miroir d’une époque où l’architecture ne se contentait pas de remplir une fonction, mais où elle était aussi un vecteur d’expression artistique et symbolique.
Snyers, à travers ses œuvres à Liège, laisse un héritage précieux qui se lit aujourd’hui encore dans les rues de la ville. Le sgraffite qu’il a conçu au 274 du boulevard d’Avroy, avec ses motifs intrigants et sa charge symbolique, en est un parfait exemple. C’est un rappel que l’architecture, loin d’être figée, est un art vivant qui raconte l’histoire et les aspirations d’une époque.





